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Amazingworld237
13 avril 2021

Guillaume Oyono Mbia

La dernière confession

Guillaume Oyono Mbia et moi à Mvoutessi II

 

Le grand dramaturge a tiré sa révérence. Rideaux sur une vie riche. Rideaux sur un parcours atypique. Rideaux sur un profil qui étonnait par sa grande simplicité, malgré ses lauriers. En hommage à cet illustre talent camerounais, qui m'a adoptée après ces multiples échanges professionnels, je republie cette interview réalisée en 2016 dans sa maison de retraite à Mvoutessi II, son beau et paisible village.

En juin 2017, le Ministre des Arts et de la Culture Narcisse Mouelle Kombi, au cours d'un séjour professionnel dans le Sud Cameroun avait fait escale chez Guillaume Oyono Mbia pour lui témoigner toute la reconnaissance du gouvernement camerounais

De la véranda de sa maison, à Mvoutessi II, ce 22 mars 2016, il nous voit descendre du véhicule, qui se gare juste à proximité. L’expression de son visage s’illumine. «Encore des visiteurs !», nous dira-t-il pendant l’échange des civilités. «J’en vois beaucoup qui viennent et repartent». Ici, à Mvoutessi II, son village, l’auteur de la célèbre pièce de théâtre «Trois prétendants un mari» passe une retraite paisible. C’est dans ce cadre campagnard qu’il a vu le jour en mars 1939. Enfant joyeux et espiègle, il entre dans l’histoire de l’art dramatique alors qu’il est élève en classe de seconde au Collège évangélique de Libamba en 1959. En écrivant sa première pièce de théâtre «Trois prétendants un mari» dont l’inspiration lui est venue après la dot d’une de ses cousines. Soutenu et encadré par son enseignant de littérature, il peaufinera l’ébauche et réalisera la mise en scène.

Il recevra plusieurs prix dont le «Prix El Hadj Ahmadou Ahidjo» et celui du concours inter-Etats africains organisé conjointement par les compagnies aériennes Air-France et U.T.A. Il voyagera à travers le monde, mais entamera parallèlement une carrière d’enseignant à la Faculté de Lettres et de Sciences Humaines de l’université de Yaoundé et de traducteur après une formation en études supérieures à Londres. De retour au Cameroun, il s’investit dans ses deux passions jusqu’à son départ à la retraite il y a bientôt vingt ans. Au milieu des chants d'oiseaux, et enveloppé de l'air pur de Mvoutessi II, l'ancien Chef du service aux Affaires culturelles au ministère de l’Information et de la Culture s'est ouvert à bâtons rompus.

 

Interview

Guillaume Oyono Mbia, dramaturge, notable de Mvoutessi II

«Le malheur avec les intellectuels, c’est qu’ils ne pensent souvent qu’à leur… propre intelligence»

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Guillaume Oyono Mbia, auteur célèbre, homme de théâtre, conteur, enseignant... A quoi s'occupe-t-il aujourd'hui?

J'ai pris ma retraite. J'étais enseignant. Depuis mon départ à la retraite, j'ai regagné mon village Mvoutessi II, dans l'arrondissement de Zoétélé, région du Sud. J'y mène une vie campagnarde avec tous ses plaisirs. Je passe des jours heureux avec mon épouse. Je me demande qui est fatigué de l'autre: la retraite ou moi? (Rires). En tant qu'ancien d'église, je m'investis dans la vie de ma paroisse.

La scène vous manque-t-elle? Vous ne voulez pas remonter sur les planches?

(Catégorique) Non! Vous avez déjà vu combien de menuisiers vouloir remonter sur les planches? (Eclat de rire). Non, je n'ai pas soif de remonter sur les planches. J'ai déjà rempli ma mission. Aujourd'hui, la vieillesse se fait sentir. Ma mémoire s'affaiblit. Heureusement que j'ai une aide-mémoire efficace en la personne de mon épouse. Elle était photographe sous Ahmadou Ahidjo, le premier président du Cameroun. Elle travaillait au palais présidentiel des fois. Mais elle a arrêté son métier dès qu'elle m'a rencontré (Rires). Elle a dit qu'elle a trouvé un beau garçon (éclat de rires).

Vous avez donné de belles œuvres au patrimoine culturel camerounais. Votre regard sur le théâtre camerounais ? Que faut-il faire pour réveiller la flamme du théâtre dans notre pays ?

(Il réfléchit) Il faut que le théâtre reste sur la scène. Ni les auteurs, ni les comédiens ne doivent se décourager. Devrais-je vouloir que le théâtre devienne le cinéma ? Ce serait peut-être prétentieux au vu des réalités sur le terrain. A mon avis, il faut une prise de conscience globale des politiques, des auteurs, des comédiens, des mécènes et du public. Il faut des salles, des œuvres, des troupes de théâtre et un public pour venir regarder. Car, aujourd’hui, même le public semble s’essouffler. De manière générale, s’il y a une entité capable de faire quelque chose et d’impulser une dynamique, c’est le gouvernement. En donnant le ton, les autres maillons s’impliqueront davantage. Le malheur avec les intellectuels, c’est qu’ils ne pensent souvent qu’à leur propre intelligence alors que parfois, ça n'en est pas une (Rires). Je vous remercie pour cette question. Il faut réveiller l'intérêt des personnes qui ont l'habitude d'aller au théâtre et former la relève.

3 Il vient d'achever l'édition anglaise de son best-seller Trois prétendants un mari

Qu’est-ce qui vous a motivé à vous intéresser à cet art ?

(Calme) Tout part des connaissances littéraires apprises à l’école. Toutefois, déjà enfant, j’aimais beaucoup amuser les autres. Pas seulement les enfants, mais les adultes également. Nous avions une mère qui ne manquait jamais, en une semaine, de nous dire des contes de chez nous : les fables de «Koulou la tortue et Ze la panthère», etc. C’est par ce moyen-là que j’ai été piqué par le virus du théâtre. Je me suis demandé comment intéresser les autres dans une langue autre que le patois. En français, peut-être pour toucher un plus grand nombre de gens. J’allais voir les maîtres pour leur exposer mes désirs, pour bien monter mes histoires, parce qu’on pouvait tomber sur certains sujets qu’il fallait remettre en forme dans un langage cohérent.

C’est au collège que véritablement l’appel se fera plus fort. Au contact des lectures des auteurs comme Molière qu’on étudiait en classe. Cela a provoqué un questionnement en moi pour savoir pourquoi certaines réalités de chez nous n’étaient pas mises sous cette forme de littérature. Car, le théâtre a une grande valeur didactique. On apprend beaucoup de choses. Il y a de la joie, de la sagesse dans nos contes traditionnels. Toutes choses qui mériteraient d’être dévoilées aux yeux du monde. Maintenant, tout dépend de la maestria avec laquelle on le fait ; du niveau que vous avez pour former les autres. A travers le théâtre, on chasse la tristesse, la mélancolie, la douleur. On change des comportements, des mentalités. Les sujets à développer, on les trouve partout, dans les livres, la vie quotidienne, etc. On peut s’inspirer même de la Bible.

Etes-vous satisfait de l’impact de votre œuvre ?

(Il souffle). On ne peut pas regretter ce qu’on a choisi de faire par passion. Tu dois gagner ton pain à la sueur de ton front. Il faut avoir un salaire et ne pas être considéré comme ces écrivains qui écrivent en vain. Depuis des années aujourd'hui, seul l'art musical semble retenir l'attention des uns et des autres. Où sont passées les autres formes d'art? Qu'en fait-on? Les chanteurs sont plus valorisés. Parmi les séniors de la culture au Cameroun, il n'y a pas encore un artiste non chanteur qui a eu une reconnaissance élevée. Anne Marie Nzié, par exemple, a eu droit à une maison, une pension et d'autres attentions. Aucun homme de théâtre n'a eu ce privilège encore.  Moi, je ne voudrais pas qu'on me décore à titre posthume. C'est du vivant des Hommes qu'on doit les valoriser. Savez-vous que je touche 30.000Fcfa de droits d'auteurs? Heureusement, que j'ai une pension retraite d'enseignant. Si je n'avais pas exercé cet autre métier, je serai un mendiant aujourd'hui. L'écriture, je l'ai choisie par passion. Je viens de terminer la version anglaise revue de mon ouvrage "Trois prétendants, un mari".

Des lauriers pour ses talents

Justement, vous êtes devenu célèbre grâce à cette pièce de théâtre. Dites-nous, comment est venue l'inspiration de cette œuvre? Y avait-il une jeune fille qui "traumatisait" tous les jeunes gens du village, y compris vous?

(Il sourit). Vous savez, pour écrire, un auteur trouve l'inspiration parfois dans des faits insolites... (Il s'arrête un moment. Sa femme lui rafraîchit la mémoire). J'étais élève en classe de seconde au Collège de Libamba, quand j'ai écrit la pièce de théâtre. Nous avions l'habitude d'aller au village pendant les vacances. A ces périodes-là, il y avait souvent des événements comme la dot. Alors, c'est en assistant à une dot, celle de ma cousine Ngono, que l'inspiration m'est venue. Elle devait épouser l'ancien député Gaston Medou.

Des félicitations

Néanmoins, c'est par un concours de circonstances que votre talent d'écriture est révélé... Racontez-nous.

En nous libérant pour les vacances scolaires, notre enseignant de littérature nous avait donné un devoir. Or, il s'est avéré que j'avais deux cahiers identiques : l'un me servait à coucher mon inspiration et l'autre mes devoirs. A la rentrée, j'ai remis mon devoir. Mais je m'étais trompé de cahier sans le savoir... (Rires). Mon professeur (Trobish), un allemand, son nom certainement ne vous rappellerait rien, lit l'ébauche et me dit "M. Oyono Mbia, sais-tu que tu as écrit une pièce de théâtre? Je te dispense des devoirs, finis-moi ce texte". C'est lui d'ailleurs qui me suggéra le titre "Trois prétendants un mari". Après, il m'a exigé d'en faire la mise en scène. Pendant des manifestations au collège, la pièce devait être jouée. Les élèves du collège Sacré Cœur de Makak étaient conviés à la cérémonie. Il y avait une grande fraternité entre ces deux grands collèges. Chaque fois qu'il y avait un événement de part et d'autre, l'on était invité. Les élèves et les dirigeants du collège Sacré Cœur de Makak ont apprécié la pièce et l'ont également commandée chez eux. C'est ainsi que la célébrité de la pièce commence. L'information se passe de bouche-à-oreille. La réputation de la pièce et de son auteur dépasse les frontières de Libamba. Elle atteint Yaoundé. Un jour, le collège d'Elat sollicite que la pièce soit jouée là-bas. Sauf que les dirigeants croyaient que l'auteur résidait en France. Ils envoient donc une correspondance dans ce sens à l'ambassade de France à Yaoundé, qui souhaitait également organiser la présentation de la pièce au Centre culturel français (appellation de l'époque). Alors qu'il était au collège protestant de Libamba (Rires).

Cette pièce vous a également fait tourner en dérision durant la composition de la première partie du Bac...

Une insolite (Rires). Quand j'arrive en terminale, la notoriété de la pièce est établie dans l'univers éducatif. Pendant la session du Bac, je tombe sur ma pièce de théâtre. L'examinateur, un Blanc, me demande de la commenter. Je donne ma copie et lui, un peu agacé, me dit que ce n'est pas ce que l'auteur de "Trois prétendants un mari" a écrit. Je lui dis que je suis l'auteur. Il ne me croyait toujours pas. Je lui rétorque donc en indiquant que c'est lui qui déformait l'esprit de la pièce. Intrigué par mon audace, le Blanc regarde ce petit garçon en culotte tenu devant lui. J'avoue que j'avais peur de lui. Il m'interpelle en ces termes : "Ce que vous avez écrit?" Je réponds timidement : "Oui, monsieur". Il regarde ensuite le livret et déchiffre bien le nom de l'auteur et se rend compte que c'est le même que je porte. Alors, il me dit que l'ambassadeur de France me cherche depuis, car il avait reçu cette correspondance du collège d'Elat dont je vous ai parlée tantôt. On suspend l'examen et il me conduit personnellement à l'ambassade. Sur place, l'ambassadeur instruit qu'on m'établisse un ordre de mission. Je ne comprenais rien. Ensuite, il m'a remis 100.000FCFA en coupures de 1000F en me disant d'aller à Elat. J'avais également un chauffeur à ma disposition. Après le succès de la pièce à Elat, le Premier ministre du Cameroun francophone, Charles Assale, demande que la pièce soit jouée à l'inauguration du Centre culturel français.

Que gardez-vous de votre carrière d'enseignant?

Elle a été bien remplie. J'ai enseigné trois langues: l'anglais, le français et l'allemand. J'ai également enseigné la musique. Mon fils Yves Zambo est un pur produit de mon école.

Une carrière d'enseignant riche

A vous observer depuis que nous sommes arrivés, vous semblez plutôt un homme sans histoires. En dehors du célèbre dramaturge, qui est l'homme Guillaume Oyono Mbia?

(Posé) Un homme sans histoires comme vous dites: simple, qui ne dérange pas. Je n'ai pas de caprices alimentaires. J’ai occupé de hautes fonctions dans ce pays. Pendant un quart de siècle, je ne percevais qu'une avance sur salaire, sans broncher. Ce n'est qu'après mon départ à la retraite que mon épouse a reconstitué mon dossier administratif. Je n'aime pas les problèmes. Je veux que la vie soit facile pour moi et pour les autres. Enfant, j'étais obéissant. C'est vrai que j'aimais amuser les gens. Je suis né d'une fratrie de huit enfants.

Votre femme a la réputation, ici au village, d'être un cordon bleu. Qu'aimez-vous spécialement manger?

(Il sourit) Ma mère aimait nous cuisiner le "Nnam ngon" [mets de graines de courges, Ndlr]. Comme j'étais son «décortiqueur» émérite de graines de courge, elle me récompensait bien. Donc, je dirai le "Nnam ngon". Mais, je mange tout ce qu'une femme a pris le temps de cuisiner. J'apprécie la peine qu'on se donne pour concocter un repas. Je ne me sens pas les capacités de dire que ce n'est pas bon ou pas. On doit pouvoir apprécier les efforts fournis pour arriver à un résultat.

Pas capricieux alimentaire

Nous arrivons au terme de cet entretien Guillaume Oyono Mbia. Avez-vous des doléances ou un message à passer?

(Franc). Non, je ne suis pas un homme de doléances. Doléances vient du mot "douleur" (Rire). Je vis simplement ici au village. Le matin, je prends mon café, je vais au champ, à midi, je savoure le repas concocté par mon épouse. Je l'accompagne d'une bière ou du vin de palme. Dans l'après-midi, je joue du piano. J'écoute de la musique, celle qui est écoutable, bien sûr. Mais, j'ai une ouïe attentive pour les grands auteurs du chant classique.

Avez-vous des regrets, des projets? S'il fallait renaître, vous reprendrez le même parcours?

Des regrets, un bilan? Non. Ce serait faire des reproches à Dieu.

Propos recueillis par G-Laurentine ASSIGA, à Mvoutessi II

 

 

Guillaume Oyono Mbia en quelques dates

Au village avec son épouse et son fils Zambo, il coule des jours paisibles

 2 mars 1939 : Naissance à Mvoutessi
1963 : Publication de «Trois prétendants un mari» aux éditions CLE
1964 : Départ pour Londres
1969 : Retour au Cameroun après avoir été 2è au concours ORTF(Office de Radiotélévision Française) avec «Notre fille ne se mariera pas»
1970 : Lauréat de la première édition du «Prix El Hadj Ahmadou Ahidjo» avec les versions française et anglaise de «Trois prétendants un mari»
1979 : Chevalier de la Pléiade, ordre de la francophonie et du dialogue des cultures
2000 : Officier de l’ordre national de la valeur.

Œuvres principales:

-Trois prétendants et un mari, Clé, Yaoundé, 1962.

-Notre fille ne se mariera pas, ORTF, 1971.

-Chroniques de Mvoutessi, I, II, III, Clé, Yaoundé, 1971-1972.

-Source: Anthologie africaine I, Roman, nouvelle

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